Questions livres avec…Odile Bouhier !

Bonjour Odile,

Scénariste, documentaliste, écrivain… tu es une touche à tout de l’écrit !

J’ai découvert ton écriture avec la série des enquêtes du Commissaire VK (Victor Kolvair) où tu as habilement mis en scène cette période des années folles, après la guerre de 14 et où les personnages portent en eux les stigmates de cette terrible période, notamment VK (Victor Kolvair), ton commissaire rescapé des tranchées, cicatrisé et cocaïnomane. Un personnage atypique et néanmoins très attachant.

D’où te vient cette passion pour cette période ? Comment est né VK ? 

J’ai grandi à Metz, ville profondément marquée par l’Histoire en général et par cette boucherie mondiale en particulier. Ma propre famille porte les stigmates de cette période qui a bercé mon enfance et mon imaginaire. Sans compter que, petite fille, j’adorais me déguiser avec les robes de la Belle-Epoque et des Années Folles de mes arrière grands-mères, dans la malle du grenier, pour jouer des scènes de théâtre. Au milieu de la soie et des dentelles, il y avait aussi l’uniforme de la grande guerre d’une de mes aïeules – qui s’était vue décerner le Diplôme d’infirmière hospitalière au titre de guerre. J’enfilais la blouse blanche, le voile blanc et le manteau bleu marine, lourd et orné du symbole de la Croix-Rouge française et de l’insigne «S.B.M» pour « Société de secours aux blessés militaires ». Je me prenais pour une sauveuse des blessés des tranchées ! Forcément, VK ne vient pas de nulle part. J’avais envie d’un héros sans super pouvoir et cabossé, figure somme toute classique du roman noir. Je voulais un personnage façonné par son histoire personnelle mais également par la Grande.    

Dans cette série, tu abordes les débuts de la police scientifique, notamment avec Edmond Locard. Dans tes recherches pour définir cette période as-tu pu avoir accès à des documents retraçant les premières enquêtes scientifiques ? Es-tu partie simplement de faits divers ?

Pour le personnage de Salacan, je me suis librement inspirée d’Edmond Locard car j’ai eu la chance de connaître sa fille. J’ai en effet passé du temps aux Archives de Lyon, où le fonds dédié à Locard est formidable. J’ai pas mal traîné mes guêtres à la bibliothèque de la Part-Dieu, pour la presse d’époque. J’ai lu les livres de Locard, ses manuels – passionnants pour une néophyte comme moi – dans lesquels il a consigné de nombreux résultats de ses recherches pour les enquêtes policières sur lesquelles il a travaillé. Passionnément. Ensuite, c’est une inspiration plus « globale », nourrie de lectures, mais pas uniquement. J’ai beaucoup arpenté Lyon, ses musées, sa région. Beaucoup regardé de photos et de gravures d’époque. Il y a un énorme travail en amont. Pour « La nuit, in extremis », le troisième titre de la trilogie, j’ai « refait » le Chemin des Dames, déniché des trésors de documents.  

Tes romans sont surtout des romans noirs et l’enquête semble être un prétexte pour approfondir les ressorts psychologiques de tes personnages, tu confirmes ?

Je crois que c’est ce qui m’intéresse le plus dans le polar, mais une enquête c’est aussi une mécanique a priori bien rôdée mais qui surprend parfois même l’auteur, alors dépassé par ses personnages. 

Je ne peux pas faire l’impasse sur ta collaboration avec Thierry Marx pour l’excellentissime roman « On ne meurt pas la bouche pleine ». Ce roman est vraiment une réussite que ce soit en ce qui concerne la stratégie de l’intrigue, que l’écriture tellement fine et ciselée (si j’ose dire…) Est-ce que c’est facile de collaborer avec Thierry Marx ? Et plus globalement est-ce que c’est facile de partager l’exercice d’écriture ?

Non, cette collaboration n’a pas été facile mais tant mieux puisque la facilité n’est pas le truc de Thierry ni le mien. Ça a été porteur dans la mesure où le livre est, tu as raison, une réussite et une sacrée aventure. En littérature, partager l’exercice de l’écriture est complexe et je ne suis pas certaine de réitérer. En revanche, en tant que scénariste, ce n’est que pur bonheur et j’ai choisi de ne plus développer seule de scénario. Ça prend du temps de bien s’entourer.

As-tu un rituel d’écriture ? Comment écris-tu ?

Comme tout le monde, j’ai ma petite routine et j’adore ça. Je préfère me coucher tôt, vers 23H, car je me lève dès quatre heures. J’adore écrire le matin. Je déteste avoir froid, ce qui n’est pas gagné dans la mesure où je passe des heures et des heures assise devant mon ordinateur. Alors je carbure au thé vert et aux infusions. Selon le texte et le sujet sur lesquels je travaille, je peux écouter de la musique, un podcast ou même un film dès que je suis debout. J’aime m’immerger. L’écriture est chronophage et prend toute la place.

Comme tu es scénariste, imagines-tu souvent tes romans comme des films ? Quelle différence fais-tu entre l’écriture d’un film et l’écriture d’un roman ?

Réfléchir à la forme d’un récit m’amuse terriblement et, que ce soit pour un scénario ou un roman, je travaille de manière analogue. De plus en plus, ce qui m’intéresse en particulier en littérature, c’est le travail de conquête de la langue.

As-tu un polar fétiche qui aurait pu marquer ton écriture ? ou ton imaginaire ?

Je ne sais pas… En plus de la lecture de polars, je suis nourrie de références diverses (films, musique, photo, architecture etc.). Allez, je me lance : s’il y en avait un seul, là, tout de suite, ce serait « Dérive Sanglante », de Tapply.

Te souviens-tu des livres de ton enfance ?

Oh oui ! Pour tout te dire, à la maison ils étaient mes seuls compagnons et la sortie hebdomadaire à la bibliothèque municipale m’a sauvée. Mon Bel Oranger, Tistou les Pouces Verts, Les Six Compagnons (Lyon, déjà…), Les Misérables et, très tôt, des pièces de théâtre puisque je l’ai pratiqué. J’adorais la Comtesse de Ségur, j’attendais mon « J’Aime lire » et mon « Astrapi », je me faisais prendre en photo avec le livre que je lisais.  

As-tu une difficulté d’orthographe récurrente ? (nous en avons tous, moi par exemple c’est le mot « balade » qui me pose le plus de problème…). Te relis-tu ? Fais-tu relire tes manuscrits avant de les envoyer à un éditeur ?

Pour ce qui est de la difficulté d’orthographe récurrente, le mot « tache » et son homonyme circonflexe me posent parfois problème. Mais je suis sûre qu’avant de mourir, j’y arriverai ! Une de mes profs de scénario répétait « Lire, c’est relire. Écrire, c’est réécrire. » Je ne peux que confirmer…

Lis-tu beaucoup en dehors de tes périodes d’écriture et quels sont les auteurs contemporains que tu admires le plus ? Qui te touchent et te donnent envie d’écrire ?

Je lis beaucoup et des textes aussi variés que des romans de tous genres, des documents, des magazines, des B. D, les textes de mes collègues (je travaille avec un pool de scénaristes pour une série), etc. Et sinon, parce que je ne vais pas tous les énumérer, je citerai le travail de Lola Lafon et Toni Morrison. Ce sont des femmes qui me donnent envie d’écrire.   

Tu sais que nous sommes quelques-uns à attendre ton prochain manuscrit… Aurais-tu un scoop pour nous ??

Merci, Florence, pour ton intérêt et ta fidélité !

Je travaille à un manuscrit mais, happée par mon métier de scénariste, je prends le temps… Ce ne sera pas un polar. Ce qui compte, c’est continuer à écrire les livres qu’on a envie d’écrire…