Questions livres avec… Virginie Troussier !

Si le bouquetin est mon animal totem, c’est que c’est à la montagne que je me sens le mieux. Entourée de ces cimes dont je sens à la fois, la grandiosité, la dangerosité mais également l’infinie protection. L’attrait de la montagne est magnétique pour moi, comme elle devait l’être pour ces jeunes gens qui, lors de cet été 1961, se lançaient, coeur vaillant et cheveux aux vents à l’attaque du pilier central du Freney. Ils étaient beaux, joyeux, heureux et connaissaient bien la montagne. Nous étions en été, tout était paisible, l’élan était là, fort et impétueux. Au refuge de la Fourche, il y a cette rencontre improbable entre Pierre Mazeau, Walter Bonatti et leurs comparses respectifs, cette rencontre est faite de respect et de bienveillance. Le pilier du Freney sera donc une aventure collégiale franco-italienne. Tout devait bien se passer et la troupe s’élança déterminée et concentrée, mais le ciel en décida autrement et piégé à quelques mètres de leur cible, ils durent faire demi-tour…Le reste, je vous laisse le découvrir dans ce magnifique récit de la lumineuse Virginie Troussier qui écrit comme elle respire : avec douceur, force et élégance ! Je la remercie ici d’avoir eu la gentillesse de répondre à quelques unes de mes questions et je vous livre ici notre dialogue.

Ne manquez pas ce livre magnifique « Au milieu de l’été, un invincible hiver » ed. Guérin Paulsen. Bonne lecture !

====================================================================


Tu fréquentes la montagne et le milieu montagnard depuis longtemps, pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire en particulier ? Qu’est-ce qui t’a touché dans cette aventure ?

J’ai grandi dans les Alpes, au sein d’une famille d’alpinistes, je suis journaliste pour la presse alpine, je dirige les pages littéraires de Montagnes Magazine. Les éditions Guérin m’ont proposé d’écrire sur la tragédie du Freney. Il me semblait que tout avait été dit, cette histoire a déjà fait couler beaucoup d’encre. Avant de m’engager dans ce projet, je suis allée sur les lieux et puis j’ai rencontré Pierre Mazeaud, l’un des alpinistes de cette aventure. J’ai d’abord été aimantée par ce versant sud du mont Blanc, et j’ai compris, en rencontrant Mazeaud, qu’il y avait encore des choses, des éléments à explorer littérairement.

J’imagine que tu t’es beaucoup documentée, car il s’agit d’une époque où tu n’étais pas née (moi non plus d’ailleurs…) et il a sans doute fallu rechercher des archives ; quelle aide as-tu reçue pour écrire ce livre ?

La phase de documentation a été assez longue. Il m’a fallu comprendre précisément ce qu’il s’était passé. Cette tragédie a été racontée par Bonatti et Mazeaud, dans leurs biographies respectives. Cela m’a permis dans un premier temps d’appréhender les faits, les décisions, situer les bivouacs, même si les deux récits diffèrent sur certains points, ce qui est bien normal, la mémoire est labile. Un alpiniste de Chamonix, qui a 80 ans aujourd’hui, m’a transmis toute la presse de l’époque. J’ai interviewé des personnes présentes au moment des faits, comme la petite amie de Robert Guillaume. Pierre Mazeaud m’a aiguillée sur certains détails.

Ce récit est humain, fraternel et il porte notre regard vers la montagne. Es-tu allée sur les lieux ? Au pilier du Freney ?

L’escalade du pilier du Freney est très engagée, technique. Il faut avoir un certain niveau pour grimper à plus de 4000 mètres d’altitude. Je me suis approchée au plus près du Pilier ; à l’Innominata, pour observer, admirer cette flamme de granit, pour respirer les lieux, comprendre où ils étaient passés.

Pierre Mazeaud avec qui tu as discuté de ton projet, a dit que ce livre était « émouvant », je trouve que c’est vraiment le mot. A-t-il pu t’aider dans tes recherches ?? 

J’ai vu cette vidéo le jour de la sortie du livre (14 janvier 2021). (https://www.youtube.com/watch?v=Ox-1xsgOmUg&ab_channel=tvmountain) Pierre Mazeaud livre ses retours de lecture, à chaud.  Sa réaction m’a profondément émue, touchée. Je ne l’oublierai jamais. Il était assez réticent au départ, quand je lui ai expliqué mon projet. Il ne comprenait pas ma démarche. Tout avait été dit pour lui, je n’étais pas là durant les faits… mais j’ai continué l’écriture, probablement portée par une confiance intérieure, et un désir très fort. Je ne savais pas du tout comment il allait réagir, et ses mots ont été un vrai cadeau pour moi. Dans ma recherche, Mazeaud m’a aidée sur certains points, mais je voyais bien qu’il avait du mal à évoquer cette tragédie. C’est cette incommunicabilité qui a été la matière de mon texte. Je crois que je suis allée au-delà des faits, c’est vraiment ce qui m’intéressait. Je voulais travailler, transmettre ce qui est impossible à dire en interview.

Le pilier du Freney, c’est le pilier de l’amitié, du moins c’est la métaphore que je vois dans ce récit et on sent bien dans ta narration que c’est un sujet qui te couche, l’amitié. Tu peux nous en dire plus ??

Tout à fait. Il faut savoir que c’est avant tout l’histoire d’une première. Personne, en juillet 1961, n’avait gravi ce pilier du Freney, c’était « le dernier problème des Alpes ». Les premières attirent, d’un point de vue physique, sensoriel, sensationnel, pour l’aventure, mais aussi pour la victoire ; il s’agit d’associer son nom à une montagne afin de marquer l’Histoire. Deux cordées ont eu l’idée de faire cette première au même moment : une cordée française, avec Mazeaud, une cordée italienne, avec Bonatti : et ces deux cordées se sont retrouvées par hasard au bivouac de la Fourche, qui se situe exactement sur la frontière italienne. Dans ce petit abri perché ils décident de faire cordée commune, d’y aller tous ensemble, à 7. Magnifique ! L’amitié est scellée à ce moment-là.

Cette ascension aurait très bien pu se passer si la météo ne s’en était pas mêlée, on retrouve cette notion de destinée, de « mektoub »….je trouve ça très fort dans le roman.

C’est juste. Si le ciel avait été clair, ils auraient certainement atteint le sommet, car ils étaient très entraînés, et l’on devine un certain génie collectif. Mais la météo a tourné et à l’époque, les prévisions que nous avons actuellement n’existaient pas. Cette notion de destinée, dont tu parles, me paraît importante… il y a tant de facteurs que nous ne maîtrisons pas en montagne, c’est pour cette raison, aussi, qu’il n’y a aucun responsable selon moi.

La figure de Walter Bonatti est tellement présente. On sent son charisme, sa force et sa détermination. Il y a une incroyable fraternité dans ce récit, les Italiens et les Français s’encordent ensemble après qu’ils se soient rencontrés au refuge de la Fourche. En montagne, les liens sont forts, décuplés…on compte les uns sur les autres, on s’entraide, on se soutient. On sent très fort ce rapport à l’amitié.

J’ai une grande admiration pour Bonatti. C’est un alpiniste incroyable, un mythe pour beaucoup dans le milieu montagnard, car au-delà de ses prouesses exceptionnelles, il était une conscience. Pour lui, l’alpinisme signifiait : soif d’idéal, imagination, et connaissance intime, connaissance de l’autre. Pour Mazeaud, la montagne, c’était avant tout l’amitié. Il avait la passion de l’amitié. En montagne, on a la vie de l’autre entre les mains. La corde repose sur un lien de confiance, un lien fort, de fraternité. Et puis, quelle que soit la course, l’intensité de ce qui se vit en montagne façonne et enrichit nos relations avec les compagnons qui partagent cette même aventure.

Je note avec quelle précision (je dirai dévouement) tu relates ce drame sans pour autant entrer dans un voyeurisme désespéré. Tu as voulu être au plus près des faits en eux-mêmes ?

L’idée était de dépasser le factuel. Je voulais écrire avec les éléments, la roche, le vent, la neige, la foudre, et aussi au plus près des corps, au plus près de ce que les alpinistes pouvaient ressentir.

Peux-tu nous parler de ton écriture ? Ce récit dramatique est pourtant écrit avec une incroyable poésie, même le titre est chantant ! Tout y est très doux. Le texte est vraiment superbe ! J’ai particulièrement aimé des phrases comme celle-ci : 

« L’homme intime ne dit rien. Les mots qu’il peut prononcer sont imprécis par rapport à ce qu’il ressent. Rien n’est facile à extraire, les couleurs de l’âme, les nœuds de l’estomac ne sont pas conjugables. »

Ce qui m’intéresse en littérature, et dans l’écriture, c’est transmettre ce qui ne se voit pas à l’œil nu, ce qu’on ne dit pas. C’est travailler l’indicible. Cela passe par l’exploration profonde des sensations, des émotions, des sentiments.

C’est vraiment un très beau travail d’écriture !! On te sent là, avec eux, au plus près avec presque un regard de journaliste, sans distanciation avec l’histoire, mais avec une pudeur infinie. On pourrait l’imaginer caméra à l’épaule en train de les regarder et de parler d’eux en même temps.

Merci pour ton retour, la question de la distance a été centrale. Je voulais être juste. Faire preuve de pudeur tout en explorant les sentiments, faire ressentir sans trop en dire… il s’agissait d’un exercice délicat. En même temps, la seule façon pour moi de m’engager dans cette histoire a été de me faire confiance, et de l’écrire comme je l’avais ressentie, avec un infini respect pour ces hommes, avec beaucoup d’amour aussi. Ces alpinistes, je les ai aimés. Ils font aujourd’hui partie de ma vie.

 J’ai aimé ce que tu dis aussi à la fin sur les jugements à l’emporte-pièce….bravo, c’est tellement vrai ! Était-ce important pour toi de mettre les choses au claires ??

Cette tragédie a suscité de nombreuses polémiques, Bonatti a été accusé, critiqué… je l’ai vu quand je me suis plongée dans la presse de l’époque. C’était effarant et je ne voulais pas aborder ce sujet moi-même. Le texte de Dino Buzzati « On ne me pardonne pas d’être revenu vivant », que nous avons décidé d’intégrer à la fin du livre, résume toute la situation. Mazeaud m’a répété également qu’il n’y a pas de polémique en montagne, car la montagne est avant tout un espace de liberté. Il est bon de s’en souvenir.

Où as-tu écrit ton livre ? Comment écris-tu ? Le matin ? Le soir ? Avec ou sans musique ? Quels sont tes rituels d’écriture (si tu en as).

J’ai une vie nomade. Je me souviens d’avoir écrit ce livre à Paris, la Rochelle, Chamonix, et à Las Palmas, aux Canaries. Je peux écrire à tout moment de la journée, il me faut du temps (de longues heures devant moi…), du calme et je dois absolument être seule.

Un prochain projet ??

Je travaille actuellement sur un récit de montagne, un projet qui m’enthousiasme beaucoup. Et début juin sortira La frénésie du windsurf, Petites empoignades avec le vent, les embruns et les vagues, aux éditions Transboréal, dans la collection « Petite philosophie du voyage ». C’est une collection magnifique, chaque livre est un petit trésor. Dans ce texte très personnel, je raconte ma passion, pour le windsurf, le vent et ses sensations.

===================================================================

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s