
Au fil des rencontres numériques, j’ai eu le doux plaisir d’échanger avec Jacques Perry-Salkow, que je ne connaissais pas auparavant. Depuis je me suis procuré son délicieux livre « Anagrammes dans le boudoir » et il m’est alors venu l’idée d’en faire un podcast pour ma chaine YouTube (le lien se trouve en bas de cet article). L’exercice n’était pas simple, mais Jacques Perry-Salkow a volé à mon secours me proposant quelques pistes de réflexion et notamment toute la partie historique de mon propos. Finalement l’anagramme m’est apparue plus simple et j’en fais maintenant un jeu en tentant de torturer les lettres du nom de mes amis…L’anagramme c’est comme le chocolat, il ne faut pas tomber dans la boîte !! Jacques Perry-Salkow a bien voulu répondre à mes petites questions, qu’il en soit ici remercié très sincèrement.
N’hésitez pas à parcourir son opus « Anagrammes dans le boudoir » (chez Acte Sud) qui est une merveille du genre !

===============================================
Comment passe-t-on de pianiste à anagrammatiste ?
Do ré mi fa sol la si est l’anagramme de « Mois floral d’Asie », et l’on songe à Cio-Cio San, alias Madame Butterfly, contemplant les blanches nappes des cerisiers d’Omara. Enfant, j’avais un petit piano en plastique et une machine à écrire. Passer des touches de l’un à celles de l’autre était naturel.
Quelle analogie faites-vous avec la musique ?
La musique de Bach, c’est la forme savante allée avec le cours naturel d’un ruisseau (Bach signifie « ruisseau » en allemand). Qu’est-ce que cette affirmation nous dit ? Que l’art a comme fin de faire oublier l’art, et cela s’applique aussi au jeu savant de l’anagramme. Rien en elle ne doit peser ou poser. Comme dit si bien Verlaine, de la musique avant toute chose.
Qu’aimez-vous tant dans les anagrammes ?
Le sentiment d’une révélation, d’une porte dérobée ouvrant sur un sens caché.
Qu’est-ce qui vous inspire ou qui vous inspire ?
« Ce qui n’a pas de secret n’a pas de charmes », écrit Anatole France. Le goût du secret m’inspire. Ce peut être aussi quelque muse…
Vous avez souvent œuvré de concert (si j’ose dire…) avec certaines personnalités, qu’appréciez-vous dans le fait d’écrire à 4 mains ?
L’amitié, l’enthousiasme, tous deux moteurs d’écriture et d’enrichissement intellectuel.
Quelle est votre anagramme préférée ?
Langue de Molière / Le génie de l’amour.
Et votre palindrome préféré ?
« Sévère, dissuasive, je vis aussi de rêves. » C’est la Beauté qui semble parler à travers ce palindrome. Et l’on songe, cette fois, à l’admirable vers du fleuriste du mal : « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre » (Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Beauté »).
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Les jeux de langage, en général. Cette anagramme, en particulier :
Roméo Montaigu, Juliette Capulet
— J’aime trop ta gueule.
— Et moi, ton cul.
Qu’est-ce qui vous fait écrire ?
Il me semble que le poète cherche à nommer le réel, ou du moins à dire quelque chose de lui. Il l’exprime au moyen d’une “jolie phrase”, pour parler comme Proust. Car Proust lui-même le dit : c’est sous la forme de mots qui lui font plaisir que les choses lui apparaissent. Par suite, quand il a fini d’écrire, il se trouve “heureux”, comme si l’écriture l’avait parfaitement débarrassé de la réalité et de ce qu’elle cachait derrière elle. Cela, je l’ai entrelu dans l’épisode des clochers de Martinville, “nobles silhouettes” que le petit Marcel distingue au soleil. J’ai compris tout à coup que cette poésie incluse dans les choses ne se découvrait entièrement à l’écrivain que lorsqu’il les avait formulées en phrases. La révélation était de taille. Ce jour-là, À la recherche du temps perdu m’a appris quels petits bonheurs je pouvais attendre des anagrammes – ce processus littéraire qui, par transposition des lettres d’un nom, d’une expression, d’une phrase, dégage un sens caché.
L’anagramme est un jeu pour vous, pensez-vous qu’elle puisse être aussi un outil ésotérique ? symbolique ?
Un outil ésotérique, elle le fut jadis. Vous en parlez dans votre historique. Pour ma part, je me garde d’extrapoler. Les anagrammes sont de merveilleuses coïncidences (encore faut-il les révéler). Et le merveilleux me suffit.
Vous savez en cuisine comme en littérature, j’aime mettre mes doigts dans la farine pour comprendre comment on fait un gâteau… Comment écrivez-vous ? avec de la musique ? sans musique ? le matin ? le soir ? avez-vous une pièce dédiée ? sur un ordinateur ? avec un stylo ?
Avec ou sans musique. Matin et soir, et parfois même durant le sommeil. J’écris à la table, dans ma chambre. Ou bien au-dehors : marcher, mettre le corps en mouvement libère la pensée. Stylo puis ordinateur.
Que faites-vous lorsque vous n’écrivez pas ?
Je joue du piano. Voilà qui nous ramène à votre première question !