Questions livres avec… Stéphane Poirier !

J’ai rencontré Stéphane Poirier lors de sa remise du Prix Jean Anglade au Salon de Royat-Chamalière en Octobre 2021. Je n’étais pas vraiment attirée par son livre, mais il venait d’avoir un prix et ça ne devait pas être si mal que ça finalement…Nous avons échangé un instant et allez savoir pourquoi, mais cet homme m’a touché ! J’ai donc lu son livre et pour un primo-roman, c’est vraiment un très joli récit et de surcroit, très bien écrit !

C’est l’histoire de Lilou, rouquine, qui semble être en errance, sac à dos sur les épaules, cheveux gras et allure de sauvageonne…et c’est aussi l’histoire de Monty, un loup solitaire, taiseux, serviable, qui travaille de petits chantiers en petits chantiers dans son coin…et c’est l’histoire improbable de la rencontre de ses deux personnages magnifiques, que le hasard va entraîner sur des chemins qu’ils n’osaient même plus espérer l’un et l’autre. Un roman qui sent bon, la simplicité, le vivant, la douceur et l’effleurement. Je ne comprend pas que ce roman n’est pas eu toute la visibilité qu’il méritait. Vraiment, ne passez pas à côté, lisez ce livre !

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Cher Stéphane, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions. Notre rencontre au Salon du livre de Royat-Chamalières lors de votre remise du prix Jean Anglade m’avait laissé une très bonne impression et j’ai depuis cherché à vous joindre avec difficulté. Je suis heureuse que le contact soit rétabli…

Vous êtes photographe avant d’être écrivain et il me semble que cela transparaît dans votre écriture. Quelle analogie faites-vous entre les deux exercices ??

En fait, difficile d’établir une chronologie entre ces deux activités. Je pense avoir commencé ces deux passions à peu près en même temps, et les deux sont liées, même si aujourd’hui, l’écriture a endossé le maillot jaune dans mes priorités. Un roman comme une photo doit raconter une histoire. C’est une source d’émotions et un voyage en soi. Et il est d’ailleurs toujours surprenant et réjouissant de voir que sur une même photo ou un même texte, chaque personne va découvrir un paysage différent. Un paysage construit mentalement d’après son vécu et ses aspirations. Il me semble plus intéressant d’offrir un espace de liberté à l’esprit qu’une route balisée sans aucun chemin de traverse. D’où cette quête de mystère dans mes créations.

On a écrit que « Rouquine » ressemblait à « 37,2 ° le matin », mais Lilou n’est pas Betty et Monty n’est pas Zorg. Vos deux personnages sont beaucoup plus ancrés dans le réel. Avez-vous pensé à ce film en écrivant votre roman ?

Non pas du tout. « 37,2 ° le matin » a été un roman marquant pour moi, et un film sublime de Jean-Jacques Beineix, mais je n’y ai pas pensé une seule seconde en écrivant Rouquine. Cette analogie reflète parfaitement ce que je dis plus haut. Nous sommes hantés (dans le bon sens du terme) par nos références, mais nous sommes aussi des êtres vierges et assoiffés de découvertes, me semble-t-il.

Comment sont nés Lilou et Monty, mais également Gladys et Paul ? D’où vient cette si jolie histoire ? D’emblée on sent toute votre empathie avec vos personnages.

Ah, bonne question ! Le personnage de Lilou m’a été inspiré par un documentaire de Mireille Darc, dans l’émission Infrarouge sur les femmes SDF. Bien sûr, j’ai été touché par toutes ces femmes en perdition, mais hélas, pour la grande majorité, on comprenait que si elles sortaient de la rue, effacer ces années de souffrance serait impossible. Mais il y avait une exception, une jeune femme de 23 ans au moment du reportage, Caroline, SDF depuis 5 ans. Cette jeune femme m’a marqué par sa pureté. Il n’y avait aucune amertume chez elle. C’est un être pur et pour Caroline, j’ai tout de suite su qu’il y avait une possibilité de relancer les dés et d’atteindre le bonheur, ou du moins, une version plus modeste, mais aussi plus durable : la sérénité. De là est né le personnage de Lilou. Une accidentée de la vie à qui « Dieu » fait une fleur en lui offrant une seconde chance.

Quant à Monty, je ne sais pas vraiment comment il est sorti du chapeau. Je pense que c’est l’homme dont elle devait croiser la route. Un gars un peu paumé au cœur pur. Un type si peu sûr de lui qu’il ne pouvait pas l’effrayer, en lui donnant tout le temps dont elle avait besoin pour accepter d’être aimée. Ce sont deux écorchés vifs, chacun à leur façon, qui vont panser les blessures de l’autre.

Pour Paul et Gladys, les doyens de l’histoire, ils incarnent la solitude de nombreuses personnes âgées dans un monde qui oublie trop souvent les anciens, pourtant gardiens de la sagesse. Ce sont des êtres bienveillants, qui après avoir été mis au rebut, vont renaître en retrouvant du sens à leur vie en œuvrant chacun à leur façon, à aider Lilou et Monty à trouver leur chemin.

Considérez-vous l’écriture comme une matière, au même titre que la photographie ?

Oui, je pense que c’est la même chose, comme tous les arts, mais aussi comme tout ce que l’on créait. Il peut s’agir d’un repas que l’on prépare ou d’une fleur qu’on fait pousser. Nous sommes tous des créateurs, donc des artistes. Nous sommes notre propre matériau, et chacune de nos créations est un don, un cadeau aux autres, et de façon plus spirituelle, à l’univers.

Il y a beaucoup de sensualité dans votre roman. Une sensualité qui affleure sans être nommée vraiment, sans être très exprimée, mais tout de même bien présente dans votre écriture. Lilou sort du bois, lui est un taiseux, on se demande bien comment tout ça va finir… ça me rappelle le Petit Prince et l’apprivoisement de sa rose. Votre extrême sensibilité se lit à travers chaque phrase, même quand parfois l’ambiance est sombre. Avez-vous douté de cette sensibilité dans ce roman ? Était-ce difficile pour vous de mettre en scène autant de sensualité ? On le lit de la même façon dans vos poèmes. Décrire plutôt que dire ??

Merci pour ces jolis compliments. En fait, rien de réfléchi dans ma façon d’écrire. J’ai simplement laissé sortir ce qu’il y avait en moi. Je préfère de loin l’émotionnel à la cérébralité. Le cœur est discret et juste, alors que la tête est bavarde et souvent prétentieuse. L’écriture de ce roman a été comme une méditation.

Votre roman est plein d’amour, de poésie, mais également d’une réalité dont la beauté se cache dans les petites choses, comme : donnez à manger aux chats, aux oiseaux, avoir du linge propre, de la vaisselle rangée, la description des chantiers de Monty…. Souvent dans les romans, les détails sont tus alors que vous les sublimez. Ai-je tort en disant cela ?

Non, vous avez raison, et c’est quelque chose qui plaît ou déplaît. J’aime beaucoup la littérature américaine qui met en scène ce quotidien parfois brut, comme le fait d’aller pisser, de faire la vaisselle ou de se couper les ongles de pieds. Une fois encore, je n’aime pas amputer l’humain de ce qu’il est. Et ces scènes de vie respirent. Il y a une vraie poésie dans le quotidien dès lors que l’on est attentif à chacun de ses gestes, ses pensées et ses mots. La réalité n’existe pas vraiment, ou pour être plus précis, il y a autant de réalités que d’êtres humains sur terre, et notre réalité est mouvante, elle se transforme au gré des sentiments qui nous traversent. Ça me fait penser à ce grand film de Jim Jarmusch, Paterson, dans lequel un « simple » chauffeur de bus sublime son quotidien par la poésie. En composant des poèmes, déflorant une vie qui n’a rien d’extraordinaire, pour en faire un feu d’artifice de beauté et de sensibilité.

Ce livre est paru l’année dernière, quel retour en avez-vous eu ? Quel est son chemin aujourd’hui ? Avez-vous pu rencontrer vos lecteurs ?

Ce livre connaît un beau succès. J’avoue que je ne me suis pas intéressé aux ventes depuis février 2022, mais tous supports confondus, on avait dépassé les 4000 exemplaires à ce moment-là, et l’aventure continue, avec des invitations pour le présenter, des séances de dédicace et l’espoir du prix du Lions Club pour lequel je suis finaliste. Mais en réalité, ce qui me touche surtout, au-delà des ventes, c’est le voyage qu’apporte ce livre pour celles et ceux qui plongent dedans. J’ai trouvé dans les livres la personne que j’aurais aimé avoir en face de moi à un moment T, et faute d’être au bon moment au bon endroit, il y a toujours eu ces voix sur papier qui étaient là pour moi. Pour adoucir mes peines, me redonner espoir et m’ouvrir des portes insoupçonnées. J’espère que Rouquine fait le boulot pour les autres.

Qu’est-ce qui vous inspire ? Qui vous inspire ?

Tout m’inspire, même les choses pas inspirantes. Le plus beau comme le plus laid, car la lumière n’existe que grâce à la nuit. Pour les thèmes : l’amour, la nature, la lutte sociale, l’écologie, la défense de la cause animale. Enfin, tout ce qui pourrait concourir à nous rendre plus heureux, plus éveillé.

J’ai entendu votre musique, il y a du Capdevielle là-dedans ! vous êtes vraiment un « touche à tout » !! Clairement votre univers est large ! Mais revenons à l’écriture. Comment écrivez-vous ? Avec ou sans musique ? Dehors ? Dedans ? Avec un stylo, un ordinateur ? Avec vous un lieu de prédilection ?

L’écriture est très ritualisée. La musique est indispensable. Comme le café, et la clope (là, c’est moins bien). Mais la musique est ma grande source d’inspiration. Elle me permet de m’évader de mon quotidien et de décoller. Pour Rouquine, je me suis laissé emporter par des auteurs compositeurs de néo-classique, les rejetons de ce que j’appelle « la musique du silence, les descendants de Erik Satie ou d’Arvo Pärt. Je ne peux pas tous les citer, mais pour en nommer quelques-uns, il y a eu : Olafur Arnalds, Joep Beving, Vitaly Beskrovny, Mark Deeks, Richard Anthony Jay, Mike Lazarev, Adian Lane ou encore Library Tapes. Et bien d’autres.

Et pour être sincère, je crois que le mérite des images poétiques relevées dans mon roman leur revient. Ce sont eux qui m’ont offert cette magie.

Quels sont vos prochains “chantiers” ??

Et bien, deux romans sont prêts.
Le premier s’appelle “Dognapping”, qui est à la littérature ce que des films comme The Full Monty, The van, ou encore, Moi, Daniel Blake sont au cinéma.
Quant au second, je l’ai baptisé “Béni soit l’orage”. C’est l’histoire d’une communauté frappée par la sécheresse, avec un tueur en série “bon samaritain” et des personnages qui rêvent d’un avenir meilleur, avec des tas d’anecdotes et de rebondissements, dans l’optique d’auteurs tels que Michael Farris Smith, Alan Heathcock ou encore David Joy.

Reste à trouver la bonne maison d’édition pour défendre ces romans….