



Je viens de terminer « Blanc » de Sylvain Tesson (Ed. Gallimard). J’aime cet auteur, je ne vous l’avais jamais dit auparavant, mais je le suis depuis 2001 et « la Chevauchée des steppes » avec Priscilla Telmon (Ed. Robert Laffont). Les récits de voyage m’ont toujours fasciné. On voyage très bien lorsque l’on voyage dans sa tête ! Première classe ! Coussins et thé chaud en hiver, transat et thé glacé en été… En Arvernes, on se promène sur les volcans, mais on ne va jamais très loin.
Bon, je ne vais pas vous refaire la biographie de Sylvain Tesson, il suffit que vous regardiez un peu sur le net et vous saurez tout ce que vous avez à savoir…issu d’une grande et belle famille, (de celle avec qui on a envie de partager un gigot le dimanche…), trublion, grimpeur forcené depuis la grande adolescence, voyageur, écrivain et je rajouterai philosophe ! Parce qu’il nous oblige à regarder nos chaussures autrement, parce qu’il nous oblige à nous poser les bonnes questions dans une société où l’humain est sclérosé dans un champ de ruines numériques (et, hélas, j’en fais partie !).
Je ne pourrai jamais suivre Sylvain dans ses pérégrinations. D’abord, mon dos déteste dormir par terre, ensuite, je suis une vraie fille et je ne me déplace jamais sans mon sèche-cheveux et mon parfum (ça pèse lourd dans un sac à dos), et enfin, je marche, certes, mais certainement pas à son allure !! Lui, il ne marche pas, il court !! il court sans arrêt ! Après quoi ? Même lui, ne le sait pas où à peine : La recherche sans fin du mouvement perpétuel. Je l’ai croisé un jour dans Paris, on aurait dit qu’il était poursuivi !!
Bref, je suis tombée sur Sylvain Tesson au hasard d’“une chevauchée dans les Steppes”, mais je me suis relevée avec les “Forêts de Sibérie” qui est pour moi un récit incroyable et d’une beauté littéraire sans pareil ! (je crois l’avoir offert cinq ou six fois à mes amis).
Evidemment, je l’ai suivi sur « les Chemins noirs », puis à la recherche de « la Panthère des neiges ». J’ai lu « Noir » à une période où il ne le fallait pas et je me retrouve dans le « Blanc » après une période noire ! Cet homme m’épuise ! Néanmoins, qu’est-ce que j’aime le suivre à travers ses (bons) mots, ses montagnes, ses rencontres, ses nostalgies, ses circumambulations, ses utopies et ses contradictions légendaires ! (Qu’il revendique !).
Ceci dit, ce n’est qu’un exemple, car j’ai lu tout « Tesson » comme on lit tout « Proust » ! Je collectionne les articles de presse où il s’exprime, j’enregistre ses émissions de radio, ses interventions, etc. Aficionada, certes, mais pas seulement, je garde un esprit critique tout de même, il faut raison garder et savoir dire quand on n’est pas d’accord ou « un peu pas d’accord » ou « juste pas tout à fait d’accord »…
Par exemple, je ne suis pas une “anti-moderne”. J’ai un ordinateur et un téléphone portable dont je ne pourrai pas me passer (ne serait-ce que pour écrire cette chronique !), même si j’avoue, consciente d’une certaine emprise, avoir fait de la diminution de mon usage numérique, une priorité pour 2023… J’aime pouvoir, encore, prendre une encyclopédie entre les mains…
« Blanc » est une belle et longue balade à travers les Alpes, de Menton à Trieste. Un journal de bord de 230 pages et 85 chapitres, comme autant de jours de ski répartis sur quatre hivers (de 2018 à 2021). Jamais je ne me suis sentie aussi bien que dans les Alpes !! Je comprends donc bien que cette traversée ait été porteuse d’émotions pour lui et ses camarades. Et ce n’est pas que le récit d’une grande randonnée à ski, c’est également l’occasion pour Sylvain de nous livrer des phrases (encore une fois) d’une grande poésie !
« La neige embellit ce qu’elle touche, révèle à l’œil ce qui suffit. Elle tombe sur les villes, les villes sont belles. Elle redessine le réel, rectifie le monde, selon l’expression alchimique. Magique, elle emplit les vides de substance invisible, annule l’imperfection, conserve le saillant. La blancheur pardonne. Elle masque l’inutile, taille à l’essentiel. J’étais parti chercher une dissolution de moi-même, par l’effort, dans des formes abolies. La traversée blanche serait ma définition du voyage absolu, une flottaison dans une idée de paysage. »
On voit mieux le monde lorsque l’on est plus haut…. Sylvain l’a bien compris, il change de perspective et aiguise son regard sur notre siècle. Il est l’homme de la rectification, de l’antagonisme et de la recherche de sens dans un monde qui nous échappe trop souvent. Il est épris d’absolu, de liberté, de mouvement et ne négocie pas avec ce qui lui est essentiel, quitte à en payer le prix et il sait que ça coûte cher… Ce n’est pas juste une posture, c’est un véritable choix assumé.
Et voilà, je voulais vous parler de ce livre et finalement, je parle de lui ! Mais c’est à travers ses mots que l’on connaît le mieux un écrivain n’est-ce pas ? Bien que Sylvain ne se livre pas, il se délivre… dans des livres…
Nous n’avons pas tous la possibilité de faire de si jolis voyages et, plutôt que de le lui reprocher, comme le font certains fâcheux jaloux et aigris, il faut le remercier de les faire pour nous et de nous en ramener la substantifique moelle, (au sens rabelaisien). Il faut louer cet esprit de partage, si rare dans une société tellement autocentrée !
Face au marasme généralisé actuel, ce récit nous pousse à retrouver le sens de l’effort dans une société qui, avide de succès confortables, est engluée dans une contention intellectuelle qu’elle a elle-même conçue. Retrouver le goût de l’essentiel, se défaire du superflu, s’alléger et tracer son chemin, en dehors des sentiers battus pour nous, sur des autoroutes de misères cérébrales. S’extirper de la globalisation. D’ailleurs Sylvain le dit, dans cette traversée des Alpes, il est allé chercher une dissolution de lui-même ! “une flottaison dans une idée de paysage”. Il y a quelque chose de mystique dans ce récit qui est tout sauf un catalogue d’éléments redondants. Chaque page dit le monde d’une façon nouvelle et, pourtant, l’effort, le paysage, les dangers, la randonné sont les mêmes chaque jour. Là, réside la force de l’écriture de Sylvain Tesson : sublimer à travers l’écrit, dans une catharsis dynamique, le meilleur de cette pensée vagabonde.
Merci Sylvain de nous offrir ce récit et à travers lui le renouveau d’un esprit de conquête et de dépassement de soi. Merci pour cette langue si bien écrite et qui se déguste comme un dessert. Merci pour ce dépaysement, pour cette douceur immaculée, pour cet humanisme éclairé ! ….et sinon, je suis dispo pour un café !
Attrapez-moi cet excellent livre, faites-vous un thé noir, bien chaud, prenez un gâteau à la cannelle et partez sur les sommets ! Relevez-vous ! Ordo ab Chao !
Je profite de cet article pour vous dire que j’ai aussi beaucoup aimé, Philippe TESSON, père de Sylvain, dont la truculence, l’insolence, la pertinence, la profondeur, la hauteur, l’épaisseur (une vraie pyramide quoi !) était un régal pour mon père et moi, lorsque nous lisions, en chœur, ses chroniques. Son décès m’a profondément attristé, comme lorsque l’on perd un vieil ami qui, pourtant, ne l’était pas. Hommage lui soit rendu ici et mille tendresse pour sa famille.